NeveuBille et le DragOn MaGiQuE
Je suis le jouet préféré de mon neveu; il adore passer des soirées avec sa tatauBille (je précise bien tataU et pas tataN, qui est le sobriquet familial le plus effroyable qui soit; si on m'appelait un jour tatan, j'aurais l'impression d'avoir en permanence des bigoudis sur la tête, des bas de contention, de regarder "les feux de l'amour"en tricotant, et de boire du Banyuls à l'apéritif). Il a le droit de manger de la pizza en regardant pour la 18eme fois "le pôle express", de semer des morceaux de tartine dans toute la maison pour jouer au petit poucet (je joue immanquablement le rôle du monstre tapis derrière le cumulus de la salle de bain) et de se coucher tard, parce qu'il faut attendre la nuit pour essayer de découvrir le bateau du capitaine Crochet dans les étoiles. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'il est également mon jouet préféré. Je connais peu de choses aussi jouissives que faire répéter à un enfant de 3 ans les mots "ptérodactyle" ou "protozoaire" (il est encore un peu jeune pour s'essayer à "péripatéticienne"), lui donner de la limonade et observer sa réaction lors du passage des bulles dans sa bouche, ou le regarder tenter de remettre sur des rails biscornus, avec une concentration de physicien, un wagon qui va invariablement beiner dans les 3 secondes (ne me traitez pas d'indigne, vous avez tous fait pareil avec les vôtres). En plus, comme il ne sait pas lire, je peux lui faire choisir au pif une pizza et en commander une autre, il n'y voit que du feu. C'est un plus. Bref, pour des raisons qui diffèrent légèrement, NeveuBille et moi nous aimons beaucoup et passons de bons moments ensemble (sauf en ce qui concerne Peter Pan; je commence à être légèrement agacée par la fée clochette et je jetterais bien le DVD dans l'essoreuse).
Hier soir, NeveuBille voulait une histoire. Je ne suis pas très douée pour raconter les histoires, et je suis très mauvaise actrice. Avec moi, TOUS les personnages ont la même voix (ce qui fait que lorsque je braille au milieu d'un chapitre parce que NeveuBille vient de tartiner son pyjama de crème d'anchois, il croit que ça fait partie du récit et ne réagit absolument pas). Je ne sais pas créer la moindre atmosphère dramatique, on dirait que je suis en train de lire un article sur le Congo Belge. Vous voulez un exemple? (dites oui, parce que je vais vous le donner quand même); quand le loup dit au chaperon rouge qu'il va la déguster copieux derrière un buisson de houx, on dirait la mère-grand qui récite la recette de la confiture aux pruneaux.
Donc, c'est un monologue. Et au cours d'un monologue, je m'endors. NeveuBille avait depuis longtemps abdiqué et était en train de donner distraitement des daphnies à sa tortue quand j'ai mollement sombré dans un profond coma peuplé de princesses, de petits pois, de lutins et de fée clochette (la fée clochette est particulièrement opiniâtre dans cette maison). Lorsque les parents sont rentrés, ils m'ont trouvée en étoile de mer dans le lit de leur fils, froissée mais paisible, le livre sur la poitrine, bercée par la houle du pays imaginaire. NeveuBille s'était recroquevillé contre mon épaule dans un espace à peine plus large qu'une boite de rillettes. Nous n'avons même pas entendu sonner le livreur de pizza (c'est d'ailleurs très dommage; j'en avais commandé une aux artichaux et saucisses de strasbourg, avec de la crème fraîche et des capres, ce doit être très goûtu).
Pathétique.