Indiana Bille et l'atelier maudit
Mon ami John est Colombien. Si, c'est vrai, car tous les Colombiens ne se prénomment pas nécessairement Diego, Luis ou Lopez, j'ai d'ailleurs même connu un Hawaïen qui s'appelait Knüt c'est vous dire où l'étrange va parfois se nicher. John n'est pas seulement Colombien, il est aussi sculpteur. Et lorsque John va se ressourcer dans sa jungle, il me confie les clefs de son atelier-galerie, c'est dire à quel point le garçon est Colombien. Donc, pendant que John tue des serpents, copine avec le cartel de Medellin et se lève à des heures indécentes, j'explore son atelier et je tente de vendre ses oeuvres. Ce qui revient à peu près au même.
Je m'étais promis d'ouvrir à 10.00, heure locale (ça fait 3.00 en Colombie, ce qui me laisse une marge de manoeuvre viable), c'est effectivement ce que j'ai fait. En fait, je n'ai fait qu'ouvrir la porte. Techniquement, l'heure d'ouverture d'un commerce correspond peu ou prou à l'heure à laquelle on est capable de vendre ce qu'il y a à l'intérieur; et pour ce faire, il faudrait venir chez John à 7.00, muni d'une boussole, d'une pioche, d'une trousse de secours et éventuellement d'un plan du site, être capable de confectionner un pont de singe avec un trombone et un réchaud, et abandonner tout repère susceptible de guider le citoyen lambda. Ce dont je suis incapable, sauf en ce qui concerne la troisième suggestion.
Je suis une inconditionnelle des scénarios catastrophes, j'adore la théorie du chaos. Quand j'ouvre la porte de l'atelier de John, j'imagine toujours que je vais me prendre les pieds dans un chiffon qui traîne (un burin, une tonne d'argile rouge, un coffre Mérovingien), je vais me raccrocher à une étagère truffée de céramiques précieuses, l'étagère va me rester dans les mains et je vais entraîner dans ma chute l'intégrale des oeuvres. C'est déjà arrivé. J'entre donc sur la pointe des pieds avec la vigilance d'Harrison Ford lorsqu'il pénètre dans une grotte Maya, après m'être fendue de la salutation au soleil, aspergée d'eau bénite et avoir téléphoné au maharishi maresh afin qu'il envoie sur moi une pluie de bonzes au safran. Les voisins apprécient, je n'ai aucune raison valable de les en priver.
La galerie de John est basse de plafond. Très basse. On n'en voit la fin qu'au terme d'une aventure effrayante. Les poutres, inégalement réparties, dissimulent des toiles d'araignées si épaisses qu'on a l'impression de s'envelopper le visage dans la robe d'un cardinal en les traversant (la grosse main poilue posée au milieu n'est pas une sculpture. La preuve, elle vous attaque férocement.). Après 3 poutres, vous ressemblez à un apiculteur en mission-suicide, et vous avez un front plat de calendrier Aztèque parce qu'il vous a fallu choisir entre le choc frontal et la mygale importée, qui n'attendait que vous pour satisfaire ses instincts sanguinaires. La sensation de vivre une aventure extraordinaire atteint son apogée lorsque, confronté au tableau électrique (n'hésitez pas à balayer d'un revers de la main le ptérodactyle qui s'est assoupi sur votre épaule, il est mort depuis le crétacée), vous allez longuement hésiter à relever tel ou tel plomb. Si vous générez une panne de quartier, vous le saurez très vite (le voisin du dessus survit grâce à un groupe électrogène qui alimente son poumon d'acier). Par contre, ne culpabilisez pas si vous découvrez que Sidney à été plongée dans l'obscurité au moment où vous manipuliez ce tableau, vous n'y êtes pour rien. Mais ils vont essayer de vous faire porter le chapeau, attention.
Bref, tout ça sent l'étrange et le koh lanta.com. Et lorsqu'à 15.00, heure locale (10.00 en Colombie, la boucle est bouclée), je suis parvenue à vendre une sculpture à 772 000 pétro-dollars ( je vous laisse faire la conversion vous même, je viens de vivre les heures les plus noires de mon existence, et vous êtes empathiques, ce dont je vous remercie), j'ai vraiment eu envie de faire un triple axel arrière en criant "woua ho!", mais je me suis abstenue. A cause des poutres.
N'attendez aucun billet demain (d'autant que pour vous, par un paradoxe temporel délicieux, c'est maintenant), j'ouvre à 10.00, heure locale. Et après je vais au ciné.
Voir Apocalypto.
Le montage pourri ci-contre est dédié à Princesse Zelda. On n'aime jamais trop ces amis.