Tiens, voilà du crouttin, un billet incroyablement bien documenté

  Cette nuit, je suis tombée dans le lac. Sérieux. Je demande avec la plus extrème fermeté à notre divin maire (que son aura pure et lumineuse rayonne à jamais sur les agriculteurs et les fromagers, je salue ta puissance, ô maître incontesté du bouclier en reblochon, que ta gloire traverse les contrées hostiles, regarde, je me prosterne) de mettre sur les bords du jardin de l'impérial des garde-fous ou de petits tapis en velcro sur lesquels les semelles peuvent se sentir à l'aise. Parce que ça glisse sévère la nuit.

Cette nuit, donc, il faisait doux, le fohen (prononcez Feeeuuuuuunnnn) soufflait. Le fohen est un vent chaud qui rend fou (d'où la nécessité des garde-fous), et du coup, tous les gens un peu dévastés sortent pour faire de la balançoire, chanter à tue-tête des chansons de corps-de-gardes, et regarder comme c'est beau, un printemps qui s'éveille la nuit (notez bien qu'on ne voit pas grand chose, mais nous autres Savoyards n'avons pas perdu notre ancestral contact avec la nature, et nous avons un petit dispositif inclus dans la thyroïde qui nous permet de voir la nuit. C'est pour cette raison qu'en général, nous nous apparions entre nous, parce que ça n'est pas très joli, ce gros cou massif qui nous empêche de fermer le dernier bouton de nos chemises. C'est aussi ce qui nous a valu le surnom de "crétins des Alpes". Trop sollicitée, la thyroïde fait n'importe quoi, ce qui joue sur l'humeur. Si vous faites un cadeau à un Savoyard, il y a une chance sur deux pour qu'il vous mette un coup de pied dans les reins en vous disant merci. ça ne signifie pas qu'il n'est pas très heureux, mais sa thyroïde lui a envoyé un signal contradictoire à laquelle il réagit par réflexe de Pavlov. Cela dit, nous restons très fréquentables, ne serait-ce que pour notre accent, nos fromages, et la proximité de la Suisse. Je crois que c'est la première fois que je fais une parenthèse aussi longue, mais elle est quand même très intéressante). Le fohen déclenche donc une sorte de sabbat sauvage auquel nous sommes tous conviés à participer. Avec Grand Volontiers, tu penses bien comme c'est chouette d'aller faire les guignols à minuit sur les bords d'un lac aussi froid que de l'azote liquide avec des escarpins à talon bobines qui se coincent dans les pierres mal jointes. Si je ne m'abuse, nous étions en train de parler de la bataille des termophyles (c'est d'ailleurs de là que le baume termophyle indien, destiné à protéger les spartiates du chaud soleil de la Grèce, tire son nom. Pourquoi Indien? Nul ne le sait encore, c'est une de ces énigmes historiques passionnantes dont Alain Decaux était friand. Entre nous, je trouve qu'Alain Decaux a un petit côté Michel Jonasz, non?), à cause du film "300", et j'expliquais que non, Leonidas n'était pas un roi en chocolat et que non, Xerxès n'était pas une liqueur de vieille dame (quoi qu'un chocolat au Xérès, je me demande si ça existe. Ce doit être assez délicieux, faut voir)  quand soudain crouïk mon talon s'est coincé dans un bout de pierraille, et la chute d'une phrase bien construite s'est transformée en chute tout court. Le point d'exclamation que j'avais prévu de mettre à la fin s'est quant à lui métamorphosé en plouf. Si ça c'est pas de l'alchimie, je sais pas ce qu'il vous faut et je rends mon tablier. C'est fou comme, passée la première surprise de se retrouver noyée jusqu'au cou (qui nous sert aussi de flotteur, la nature est bien faite) à frayer parmi les ablettes dans une eau à -12°, on se sent diminuée devant ses amis. Surtout qu'ils rigolent, les pesteux; et qu'après, je ne vous dis pas à quel point il est agréable de retraverser la ville à cloche-pied (une chaussure est restée prisonnière de la vase), avec la coupe de cheveux de madame Mim et les vêtements tout collés. Limite je suis la créature du lac noire, et les enfants me jettent des cailloux. Dans ces cas là, il faudrait écrire un petit panonceau qui raconte ton histoire, tu te le colles sur le dos, comme ça personne ne se pose de question en te voyant passer tout gluant à 1.00 du matin. Sans explication, ça fait un peu cours des miracles.

POUR COUPER COURT A TOUT CAN-CAN DEPLACE, JE TIENS A PRECISER QUE J'AVAIS BU UNE BIERE AU CITRON EN TOUT ET POUR TOUT.

Je suis au regret de vous signaler que pour la baignade, c'est encore un peu tôt, prévoyez un scaphandre et un ré-animateur. Par contre, au niveau du plongeoir 1930, il y a une paire de lunettes qui achève sa maturation sous la vase. Et un escarpin à talon bobine. Dans 4 siècles, ils seront considérés comme d'inestimables trésors, témoins de la culture avancée des Allobroges.(les Posuto, il y a un wiki pour vous si vous cliquez sur Allobroges).

Comments

[raymonde]

Vraiment obsédée par le sirop d'arabe cette mlle bille ! C'est vrai, la sève monte au printemps...

Le sirop d'érable est aux canadiens ce que le sirop de lièges est aux belches. Vous ne vous moquez plus des belches j'espère ! Pas en 2007 quand même :-)

[melle bille]

Ludion, heureusement qu'il existe un vieil adage: "bien malotru ne profite jamais". Je n'ai pas de chien, soyez donc mon rempart;-)
Mes fromages, Soaz, mais ne rêvons pas trop, je doute fort qu'il existe un prince capable de considérer une paire de lunettes comme un graal.Zelda, il était temps!
Raymonde, la thyroïde est aux crétins ce que le sirop d'érable est aux Québécois, un must indispensable;-)))
Sammy, raconté comme ça, ça parait prsque normal. Vous êtes super rassurant. Merci;-)
Tidoigts, je ne suis pas certaine qu'harmonie soit exactement le mot qui convienne à cette espèce de débâcle...;-))))
cela dit, ce n'est pas le genre de chose qui me dérange.

[tidoigts]

c'est vraiment pas de chance, pour un lendemain de premier...mais bon, faut reconnaître que le gilet de sauvetage fluo avec un seul escarpin à talon bobine, c'aurait été un peu moins glamour comme retour. çà fait un peu playmobil! là au moins y'avait de l'harmonie (c'est important).

[Sammy]

Moralité : mettez toujours votre thermophylactyl avant de vous baigner dans les lacs à -12° par une belle nuit de printemps où souffle le feuuuuuun. Avec le thermophylactil (indien), même mouillé, on est sec, et on chante "froimoijamé froimoijamé" en fracassant des djembés. C'est le double effet feuuuun, et je dois dire que pour être feuuun, c'est super fun.

Le fohen et les pavés glissant font des ravages. La bière au citron aussi.

Ainsi se passent les douces nuit de printemps au bord du lac.

[raymonde]

Ya pas que chez les savoyards qu'y a des crétins. Mon prof de biologie en avait rencontré de vrais, dans le Québec profond. Ils nous avaient présenté les photos. Ça faisait peur à voir. Je vous le dit, j'ai eu un choc.

Mais pour Zelda, ça paraît pas trop...