Billet frais
Ça y est, je suis moult triste. A mon grand désoeuvrement par ma fi, ça m'ennuie. Et c'est grand désarroi pour moi que te conter suivante, lecteur, car je ne sortis point grandie de cette pesteuse aventure (je ne suis pas certaine d'employer exactement les mots qu'il faut pour capter l'auditoire, mais tant pis je me lance, c'est un défi de plus. Mais que cette vie est donc stimulante!)
Tout à l'heure, en revenant d'une séance de presse-purée assez rigolote, quelle ne fut pas ma surprise de croiser un petit camion blanc avec une grosse croix rouge dessus, installé devant un gros chapiteau d'où sortait un brouhaha du tonnerre de dieu. Piquée par la curiosité, je m'approche. Ah, une collecte de sang. Bon. Tiens, et si je donnais mon sang? Allez d'accord, mon sang et rare et précieux, on ne sait jamais, des fois que des habitants de la planète Vega en villégiature aient besoin d'un petit remontant, ça leur fera plaisir d'avoir un pochon de survie. Et puis ça tombait bien, j'étais à jeûn. Toute fière, je brandis mon estomac vide comme un fanion de civilité, quand une infirmière me dit que "non,non, pour donner votre sang, il faut avoir bien mangé, parce que sinon après vous risquez de tomber dans les pommes alors dis, tu vas me faire le plaisir d'aller croûter sous le chapiteau avant de te faire trouer les veines". Il faut vous dire que je n'ai jamais donné mon sang, sauf en quelques occasions impromptues, assorties de pansements divers et de plâtres de bonne facture. Je sais, c'est mal.
Sous le chapiteau-à-manger, une demi-douzaine de femmes en blanc vous saisissent par le paletot, vous collent en équerre sur une table, vous mettent un entonnoir dans la bouche et vous gavent de saucisson, de fromage, de compote de fruit et de barres de céréales. Vous criez merci (pas pour dire merci, pour dire pitié. Mais comme j'ai commencé ce billet en moyenâgeux, je me dis qu'il est bon de faire un petit rappel linguistique de temps à autres parce qu'après, comme vous ne suivez pas, vous oubliez, ça ne sert à rien que je me casse le trognon à vous faire des figures de style et c'est gâché), mais elles ne l'entendent pas de cette oreille. Elles vous remettent une couche de farçon et de rosbeef en s'assurant bien que vous ne les recrachez pas discrètement. Au bout d'une demi-heure, elles vous détachent les chevilles et les poignets et vous enlèvent votre garrot, et vous ressortez avec des tranches de mortadelle dans les oreilles, un abcès à l'intestin et des croutes de tome sous les ongles, en titubant, le regard légèrement voilé par une absorbtion massive de graisses. Vous montez dans le petit camion, où un médecin va vous poser des questions incroyablement indélicates sur votre nombre de partenaires sexuels, vos addictions éventuelles à des substances que la loi réprouve (ne tentez pas de faire de l'humour. Quand j'ai émis l'hypothèse d'une dépendance massive à la quiche Lorraine, le médecin m'a regardée avec un oeil de flétan et a laissé mourir dans un silence tombal le sourire que j'avais esquissé. Le don du sang, ça ne rigole pas), il va vous demander si vous êtes épileptique, si vous avez le VIH (c'est une question si incongrûe qu'elle m'a rappelé cette question surréaliste qu'on vous pose lorsque vous arrivez sur le sol des Etats-Unis: "avez-vous l'intention de tuer le Président?". oui, mais avec l'aide de la Russie et de Captain Planet), si vous possédez une tirelire en forme de cochon et si vous avez joué à l'euro-million la semaine passée. Si vous satisfaisez à ce concours d'entrée d'un genre nouveau, vous êtes autorisée à vous glisser dans le fond du camion, où une douzaine de fauteuils de dentiste sont installés en rond; vous avez une vue imprenable sur tous les pochons de sang qui sont en train de se remplir sous votre nez. Ce qui pourrait être perçu comme une manoeuvre de dissuasion. Vous regardez la tête des autres vampirisés; certains sont un peu pâles mais font bonne figure, ils ont de petits sourires courageux dessinés au stylo fin sur le visage. D'autres font les fanfarons, c'est en général ceux qui vont se casser la figure dans l'escalier en redescendant du camion.
Vous prenez place sur votre fauteuil de dentiste. Instantanément en action, il vous plaque avec de grosses tentacules en métal il vous moule les hanches et se met en position de décollage immédiat, tandis qu'un infirmière au sourire diabolique charmante vous saisit le bras droit d'une poigne de lanceur d'enclume. Là, elle tapotte un peu, pof pof, elle regarde l'horizon en essayant de sentir votre veine, parce qu'elle n'arrive pas à la voir. C'est moche. Encore 2 ou 3 pof pof, elle soupire, et change de bras. Pof pof pof, horizon, pof pof, ouhlala qu'est-ce qu'elles sont fines et petites vos veines je vais vous les massacrer ça ne va pas être facile. Respirez un grand coup. Attention. Piiiiiiiiic! ah zut, c'est passé à côté.
A ce stade, elle vous abandonne, et vous dit qu'elle est bien désolée mais que vraiment, vos veines sont trop petites et trop fines, et qu'ils vaut mieux que vous les gardiez pour vous (ah bon? parce que je devais les donner?). Mais quand même, vous emportez un souvenir, le gros bleu bien vilain et de la taille de l'Afrique que vous avez sur le bras.
Lorsque vous descendez toute déçue du camion, la demi douzaine de joueurs de rugby d'infirmières préposées à la cantine vous remettent le grappin dessus, et vous avez beau dire que non, vraiment, ça n'est pas la peine, vous n'avez rien donné, elles veulent vous remercier pour votre acte civique et vous plaquent en équerre sur la table avec l'entonnoir, le saucisson, la compote et tout ça.
Je vais tenter le don de moelle osseuse. A moins que mes os ne soient trop petits et trop fins. Au pire, on en fera des ocarina quand j'aurai subi grand trépas (linguistique moyenâgeuse, le retour).
PS1: suis naze mouquette, je viens vous voir demain, promis je jure crache.
PS2: ce soir sur France 3, "la leçon de piano". Chef-d'oeuvre.