A mon avis, le seul musée qu'il ne faille rater
A mon avis, le seul musée qu'il ne faille rater sous aucun prétexte, à Paris, est le musée des Arts et Métiers. Croyez-moi, ça vaut vraiment le coup.
J'ai très largement hérité des gènes de ma mère, qui n'a pas son pareil pour dénicher les endroits les plus iconoclastes (elle a récemment parcouru des centaines de kilomètres à travers une nature hostile pour aller visiter le musée du chaudron, mais elle peut passer 25 fois devant le MOMA sans en distinguer l'importance. Ni l'entrée d'ailleurs). J'ai été extirpée du même moule. Je m'endors dans l'instant pour peu que vous me placiez devant la Joconde, mais je peux rester une journée entière en état de stupeur mentale sous le tablier d'un pont, à en détailler le moindre boulon. Je visite cependant presque systématiquement les musées, au cas où ce fâcheux défaut disparaîtrait, au profit d'une soif intense de savoir un peu plus utile (cela dit, je doute que la Joconde soit très utile pour traverser la baie de San Francisco).
Cependant, si vous m'accordez un tout petit peu de crédit, je vais vous expliquer pourquoi j'aime tant le musée des Arts et Métiers (je suis navrée, mais je suis, en ce moment même, très perturbée; je viens de découvrir que Neveubille, profitant d'une absence passagère, m'avait tatoué 3 flocons de neige à l'encre bleue sur l'avant-bras; ce qui me donne un petit côté prisonnier d'Alcatraz. J'éprouve donc un décalage certain entre la rédaction de ce billet, qui se veut culturel et passionnant, et ce poignet navrant(poignant?) qui pourrait appartenir au capitaine Crochet. Mais je réalise, à l'instant même également, que vos petits yeux rendus châssieux par la contemplation de votre écran n'étaient absolument pas à même de voir mes poignets. Par conséquent, faites comme si rien n'était arrivé).
Le musée des Arts et Métiers est probablement le seul musée au monde dans lequel vous puissiez à la fois rigoler, et passer à vos propres yeux pour un parfait abruti ( à moins que vous ne ressentiez un besoin irrépressible de poser tout un tas de questions dont vous ne comprendrez aucune des réponses, auquel cas vous passerez pour un parfait abruti aux yeux des autres).
Dès votre arrivée, dirigez vous d'un pas décidé vers la chapelle Saint Martin des Champs (surtout si vous arrivez à 17.15h, c'est à dire 3/4 d'heure avant la fermeture. Vous ne paierez pas l'entrée, mais vous serez instantanément ligotée par 3 représentants des forces de l'ordre, rouée de coups, et jetée comme un quartier de boeuf sur le sol de la chapelle. Vous serez également menacée de mort par empoisonnement, et un guide véreux tentera de vous introduire de force dans une cheminée). Une fois ces petites formalités accomplies, vous allez découvrir une des plus extraordinaires réalisations de l'homme: "le pendule de Foucault". Je n'ai aucune autre explication à vous fournir, dans la mesure où j'ai atterri au beau milieu d'un aréopage de physiciens, et que je n'ai pas compris un traître mot du débat. Il était question de gravité, de force de Coriolis, peut-être même ont-ils parlé de raviolis et de porte-clefs, mais en Mésopotamien. Qui est une langue que je ne maîtrise pas. J'ai donc passé l'essentiel de mon temps à éviter de me prendre en pleine poire une boule en fonte de 12 kilos, suspendue à un câble d'acier antédiluvien qui menaçait de se rompre à tout instant.
L'effet strike serait intéressant si cela devait arriver.
Ensuite, on vous dirige vers un échafaudage de passerelles en acier et plexiglasse, sur lequel sont disséminés les véhicules les plus improbables de l'histoire des transports. Je conseille avec enthousiasme le tricycle à vapeur Serpollet, avéré selon la petite fiche explicative "incommode, pesant, et peu stable". J'aime l'idée qu'un homme ait un jour pu envisager de faire Paris-Roubaix aux commandes d'un tel véhicule, d'autant qu'il va beaucoup moins vite qu'un marcheur normal. N'essayez pas d'actionner la poire située à gauche du manche à balai, elle fonctionne. Vous allez faire retentir une espèce de corne de brume éclatante dont la déflagration va se propager d'étage en étage jusqu'aux oreilles des maîtres d'armes responsables de la discipline, qui vont arriver dans l'instant pour vous paralyser la nuque et vous cassez les bras.
Comme je suis sujette au vertige, il m'a fallu parcourir le dernier étage quasiment à quatre pattes (je rappelle que les passerelles sont en plexyglasse, ce qui vous donne l'impression d'évoluer dans les airs sans parachute et de marcher sur des atomes, comme Magneto dans les X-men, mais avec beaucoup moins d'assurance); j'ai donc mis une bonne demi-heure à gagner l'ultime attraction: l'"engrenage intérieur à denture hélicoïdale de La Hire". C'est une espèce de truc en bois plein de dents qui ne sert absolument à rien. Ne serait-ce que pour ça, ça vaut drôlement le coup de courir le risque de faire une chute de plusieurs dizaines de mètres, et de vous retrouver aplatie au sol en mille morceaux sanguinolents. Les maîtres d'armes vous contemplent d'en bas, leurs visages ont la taille d'une tête de mouche, mais vous voyez bien qu'une lueur d'attente malsaine voile leurs regards malveillants. Ils attendent que vous tombiez.
Mon but atteint, j'ai dû redescendre à toute berzingue, car le musée fermait. Je vous prie de croire que ce ne fut pas une partie de plaisir, je suis revenue devant le pendule de Foucault les jambes molles comme de la barbapapa, et j'ai dû me jeter à terre pour éviter la boule de 12 kilos qui accomplissait de grands mouvements de balançoire mortels.
Je pense que les physiciens s'en servent comme d'une arme dissuasive, au cas où vous seriez tenté de rester après la fermeture.
PS: ce billet manque un peu d'amplitude (à la différence du pendule de Foucault); c'est parce que je travaille, en fait. La bonne blague.