Le bougraton s'est bien vengé. A peine j'émets
Le bougraton s'est bien vengé.
A peine j'émets quelques réserves, comme quoi je m'en bats les ventricules, de l'esprit de Noel, avec les musiques, les patins à glace, Frank Sinatra et le sapin, que le cadeau tombe: un virus qui vous les dévore, les ventricules. Avec de grosses dents jaunes. Il dévore aussi vos poumons, vos bronches, vos épaules, et une partie de vos pulls en mohair. Et remplace votre voix par un appeau à canard.
Quand vous pouvez parler.
C'est Noel, que la joie soit avec toi, mon ami, le père Noel est très réactif. Paix.
Je trouve cependant la coincidence pour le moins suspecte.
Peut-être que le père Noel existe vraiment, et qu'il s'est dit: " Moi je me pèle les oignons dans mon chariot à clochettes, essaie un peu de passer dans un radiateur électrique avec les jouets et tout le toutim quand tu fais du 215 en tour de hanches. Avec un gros manteau et des rennes enchantés. Tu t'en chaloupes les fesses sur un tambourin, melle Bille? Tiens, pour te punir, je t'offre un chapelet de petites cloques sur les poumons, qui vont exploser les unes après les autres en faisant "jingle bell" pendant très longtemps. Et j'ajoute de gros ganglions derrière les oreilles, comme ça tu as ta poupée Shreck quand tu regardes dans le miroir. ça t'apprendra les valeurs, melle Bille. Et joyeux Noel, pendant que j'y suis, melle Bille. Ow ow ow".
La vengeance du père Noel est assortie d'une extension inédite: la perte totale du goût et de l'odorat. C'est très étonnant comme sensation; vous pouvez manger tout ce que vous voulez, vos papilles ne sont capables de distinguer que les formes (carrés, ronds, triangles...), les textures, et le chaud et froid. Un peu comme lorsque vous découvrez la nourriture sous cellophane dans un avion, mais en encore plus neutre. Pendant que vous tentez de retrouver une émotion gustative, à travers de petits tests ridicules, comme lécher le contour métallique de vos fenêtres pour voir si ça aurait plus de goût que votre chapon, ou mâchouiller un bout d'éponge, les petites cloques explosent sur vos poumons, et toutes vos bronches sont en crues. Si vous écoutez bien, vous aurez une idée assez précise de ce qui se passe lorsque le Mississipi sort de son lit en charriant plein d'alluvions.
De temps en temps, les brumes se déchirent et vous entr'apercevez une vague odeur. Pas de chance, c'est pile poil au moment où vous plongiez le nez dans un vieux pâté de campagne moisi qui traînait au fond du réfrigérateur. En chancelant, vous vous précipitez alors sur votre foie gras, dans l'espoir de pouvoir en saisir l'odeur fugace (ne parlons même pas du goût, il ne reviendra plus jamais, il faut en faire votre deuil).
Trop tard, les brumes se sont déjà refermées, et vous mâchonnez pensivement un vieux morceau de carton en attendant des jours meilleurs.
Vous n'imaginez pas à quel point c'est frustrant. J'ai fait une petite enquête autour de moi, aucun de mes amis n'a jamais vécu cette absence totale de goût et d'odeur, cette brutale déconnexion du monde des délices. Il m'a même semblé que certains d'entre eux ne me croyaient tout simplement pas.
Incapable de me déplacer ( le virus transforme également vos articulations en copeaux d'ouate particulièrement volatiles), j'ai fait venir un jeune et fringant médecin Dimanche dernier. Il s'est empressé de sortir une roue de sa trousse à outils, sur laquelle il m'a clouée au moyen de 4 seringues hypodermiques. Puis il m'a jetée sur mon lit comme un paquet de linge sale, et m'a menacée des pires tortures si je m'aventurais au-delà de la porte d'entrée dans la semaine à venir. "une sale infection généralisée", m'a-t-il dit tout en me brisant les coudes avec un maillet, afin de m'éviter la tentation de boire de l'alcool (un Sauternes 1981, luisant comme un bloc d'ambre liquide, extrêmement séduisant). Lorsque je lui ai parlé du minuscule chalet, du feu de cheminée, du bon bouquin et des doigts de pieds dans les braises, il a éclaté de rire comme Orson Wells; il est aussitôt descendu au parking afin de crever les pneus de ma voiture, mettre une pomme de terre dans le pot d'échappement, et scier les freins.
Et défoncer le pare-brise à coups de pelle.
Ce jeune médecin est, plus que probablement, un sbire du Père Noel. Son bras droit, sa vengeance personnifiée.
Son âme damnée.
Je rédige ce billet du fin fond de mon domaine, un lit incroyablement confortable. Le sbire en a interdit l'accès à toute forme de vie extérieure, il a dissimulé ça et là quelques charges explosives; je ne suis pas autorisée à vous révéler leurs positions.
Aujourd'hui, l'infection s'étend aux maxillaires, j'ai l'impression d'avoir un porte-avion dans les gencives. Et les arcades sourcillières d'un mandrill.
Jamais plus je ne dirai du mal du Père Noel.
Je t'aime, Père Noel.