Le pont de la rivière Kwai (fil RSS. Suivez, bon dieu!)
Et ce fit alors que tu te rendu compte que parfois je m'énerva pour pas grand chose et cependant. Bien que. Et malgré tout que tu m'excuses, c'est comme dit.
Voilà, c'est fait, je viens de jeter par la fenêtre "l'élégance du hérisson", de Muriel Barbery. Il est peut-être tombé sur une tête. Je ne jette pas souvent les livres par la fenêtre. La dernière fois, c'était "L'amant", de Marguerite Duras (forcément Marguerite Duras). Et c'était la fenêtre d'un train. Du coup, je suppose que les vaches ont été satisfaites (mais je ne sais pas ce que ça peut donner au niveau du lait). Je les imagine bien, sous un arbre, soulever délicatement les pages de leurs petits sabots mutins. Et rêver d' horizons lointains, et d'amours improbables décrites en langage codé.
Avant de brouter le tout avec cette sympathique nonchalance bovine. On aurait tort de prendre les vaches pour des imbéciles; et les hérissons pour des dandys.
Un hérisson n'est pas élégant, c'est un hérisson.
Au début, j'ai trouvé le livre alléchant.
Ensuite, il m'a énervée.
C'est très rare qu'un livre m'énerve; au pire, je le délaisse comme un vieux collant moche, et je l'abandonne sur un banc.
Au cas où.
Mais au fil des pages, j'ai senti le sentiment d'agacement grandir, sans trop savoir pourquoi.
Maintenant, je sais.
"L'élégance du hérisson" est une manne prétentieuse, pompeux sous le faux decorum de la simplicité. Une imposture. A moins qu'il ne s'agisse d'un piège, un canular d'intellectuel(le) pour intellectuel(les). Bien sûr, c'est un livre "dans le vent" (il y a belle lurette que cette expression ne l'est plus, par contre), il gratouille et écorche. Il se donne bonne conscience, aussi. Dès le début, il vous fait accroire qu'on peut aimer Kurosawa ET Bruce Willis (mais pas en même temps). C'est d'ailleurs à ce moment que je me suis reconnue, et j'ai laissé exploser un petit "youpi" interne, pour ne pas effrayer le tanin de mon Saumur-Champigny. Mais si tu veux d'autres références à "Die Hard" ou "Boire et déboires", tu t'adresses à la presse spécialisée, pas à la concierge de Muriel Barbery. Ou tu loues les DVD en cachette, tu t'auto-licencies ès Bruce Willis dans le plus grand des secrets, parce que tu n'en n'entendras plus jamais parler. C'était la caution "je suis exceptionnelle parce que je m'intéresse à tout (pourtant, je suis concierge), mais je préfère quand même te balancer 22 références bien culturelles afin que tu saches qui tu as devant toi. C'est pas de la merde (pourtant je suis concierge).".
Intarissable sur Ozu et sur la grammaire, elle prend cependant soin de cacher toute cette belle science à son entourage. On se demande bien pourquoi. Il y a fort peu de chance pour que l'entourage en question s'en pose la moindre, il est à 99 francs pour cent composé de crétins patentés insondablement riches (effet, cause).
Les seules richesses de Renée sont sa culture et son cerveau; et dieu sait si ça épate, une culture pareille. Nom d'un chien rends toi compte: tu lui dis bonjour, elle est capable de déceler que tu n'as pas placé l'accent tonique sur la bonne syllabe. Et ça, limite ça lui colle une attaque; mais silencieuse, l'attaque. On ne sait jamais: des fois que les riches, ces gros abrutis, s'apercevraient qu'un cortex en ébullition mijote sous ses bigoudis.
Une sacrée prise de risque, si vous voulez mon avis. Et qui ne s'impose pas. Renée préfère donc passer pour une grosse abrutie à son tour, et infuser sa science dans la pénombre de sa loge, avec sa copine Manuela et son chat Léon (ça me rappelle une chanson bien buse: napoleon est en avion avec sa femme et son cochon. Je ne sais pas pourquoi, c'est bizarre). Bien sûr, il faudrait aussi parler de la gamine suicidaire, la surdouée qui veut faire cramer la baraque. Mais franchement, je n'ai pas pu aller jusqu'au bout. Si ça se trouve, à la fin, c'est le banquet d'Obélix, avec des cornemuses et des lanceurs de marteau. Et Bruce Willis. Là, pour le coup, je serais bluffée.
Qu'est-ce que c'est chiant (pardonnez ce trait linguistique un tantinet vulgaire, et cette absence d'objectivité, mais je ne m'appartiens plus, c'est vendredi et il fait froid).
Donc, hop, d'un bras souple et déterminé, j'ai envoyé joyeusement valdinguer cette escroquerie manifeste (ce qui m'ennuie, c'est qu'il n'y ait pas de vaches au pied de mon immeuble. Elles auraient peut-être aimé brouter un hérisson). Et je me suis plongée pour la seconde fois dans "Charlémoi", un livre massif et délicat, écrit par Christine Jeanney. Aux éditions arHsens. Madame Posuto en personne. Du lourd, du bien vrai, du bien écrire. Charmant comme un ruisseau, mais puissant comme un fleuve. Et pas prétentieux pour deux sous. Je ne sais pas où elle va chercher ses images, Kiki; ça aussi ça m'énerve, mais pas pareil.
C'est quelqu'un capable de tout, elle peut même écrire ça: « Ce monde autour est bien réel, il a des montagnes tangibles, une place dans un système solaire et une galaxie et moi, au point P, le Vous êtes ici cerclé de rouge sur les plans de villes, je suis presque deux fois plus important qu’une mouche ou qu’une poussière d’antenne de crevette, c’est-à-dire que dalle, et mettre la puissance de mon cerveau au service de mon nombril c’est comme si Dieu s’occupait seulement de sa coiffure et n’assurait pas le service après-vente. » . Alors tu vois, ça ne rigole pas.
Elle devrait s'appeler Muriel Barbery, tiens. Comme ça, tout le monde s'arracherait son livre.
On le rebaptiserait "l'élégance de "Charlémoi""(double guillemets, je ne me fouts pas de votre gueule. Mais je crains que Renée n'en prenne ombrage).
PS: une photo hors-sujet s'est habilement glissée dans ce billet. Sauras-tu la trouver?