Pourquoi Gary Cooper n'a pas remporté la médaille d'or du lancer de marteau en 1712
Tu dois me comprendre. La compréhension est un facteur important, l'entente entre les peuples est à ce prix. Car je vais t'expliquer aujourd'hui ce qu'est le quotidien d'un pigiste journaliste indépendant.
Lorsqu'il débute, un pigiste journaliste indépendant est tout joyeux, car il sait qu'il sera étudiant à vie. Il va passer le reste du temps qui lui est imparti à découvrir des métiers fascinants qui n'existent pas, comme celui-ci, et à voyager dans des endroits improbables, comme ici. On lui demandera également de tester des produits prohibés, comme ici. Lorsqu'il commence a être reconnu par ses pairs, le pigiste rédacteur de sujets improbables reçoit tout à coup des tas de propositions formidables, à n'importe quel moment de la journée.
L'écrivain raté le pigiste sait se rendre disponible au reste du monde, c'est la raison pour laquelle il finit en général sa vie dévoré par les loups, ou gobé par les brochets, sans que personne ne s'inquiète outre mesure de sa disparition. Son entourage, habitué à ses longues périodes de repli monacal, cesse rapidement de s'interroger sur ses absences, et n'envisage pas un seul instant qu'il puisse lui être arrivé quelque chose de tragique.
Non.
Alors qu'il roule à tombeaux ouverts sur la départementale qui le conduit au festival du rotin joyeux de Poupehan sur Semois, son téléphone va gaiement retentir au fond de la boite à gants. Il va s'ensuivre une terrible embardée, au terme de laquelle sa Traban 1951 va aller s'emboutir dans l'arbre le plus proche. Pendant que les pompiers le désincrusteront du sapin dans lequel il est allé se ficher, et lui feront payer le malus éco-pastille correspondant aux émissions excessives de CO2 de son véhicule, le pigiste journaleux répondra à l'appel. On lui propose un reportage sur "l'axe du saucisson en Rhone-Alpes". Il acceptera avec entrain et dynamisme, non sans demander un petit délai, le temps que les pompiers retrouvent sa main.
Le pigiste scribouillard rend rarement son article à temps. Dans son jargon, cela s'appelle une "dead line", c'est une excellente appellation. Chaque téléphone de rédacteur en chef est relié à un bouton-poussoir. Une simple pression sur ce bouton-poussoir produit une décharge électrique de 200 000 volts, ainsi qu'une série d'ultrasons extrêmement douloureux (le rédacteur en chef est équipé d'une paire de gants isolants et de boule quies lorsqu'il appelle un pigiste pisse-copie). Momentanément désorienté, le pigiste gratteux va pousser un petit cri grotesque, avant d'accepter un délai totalement irréaliste. Ensuite, il ira faire renouveler l'ordonnance grâce à laquelle il se procure les médicaments destinés à soulager son ulcère. Ces produits sont élaborés dans un laboratoire anonyme situé en Bolivie.
Puis il ira prier, et remettra sa vie entre les mains du seigneur.
Lorsqu'il aura terminé son article, le pigiste scrofuleux appuyera sur une touche de son clavier, au hasard.
Avec opiniâtreté et application.
C'est ainsi qu'il effacera le fruit de son travail. Il aura , au préalable, bien vérifié que toutes ses photos sont floues, et qu'il a confondu son enregistreur avec son carnet d'adresses. Et que des miettes de thon mayonnaise se sont incrustées dans le clavier. Le pigiste damné devient rapidement accro au petit bouton-poussoir du rédacteur en chef, il en aime les sensations particulièrement motivantes.
Donc, tu dois comprendre, ami, car c'est là que je voulais en venir, que pour l'instant, je suis accro au petit bouton poussoir.
A très vite!
Bien cordialement, il tombe des contrebasses.
Très froides.