non, monsieur le commissaire divisionnaire, je n'ai jamais prétendu être un membre de la loge P5
Par avance, je quémande votre grand pardon si jamais mes phrases devenaient incompréhensibles, dénaturées, de mauvais goût, ou ordurières (si par contre elles sont rédigées en patois Valaisan, ne vous étonnez pas, mon nègre est originaire du Valais et oublie fréquemment que nous ne comprenons pas tous cette linguistique très particulière). Mais j'ai passé une sale semaine. Mon nègre Valaisan m'a d'ailleurs fait clairement comprendre que si je ne mettais pas un peu d'ordre dans mes notes, il ne prendrait même plus la peine de me traduire, et se contenterait de badigeonner mon carnet d'un mélange de sa composition, sulfureux, et qui provoque de redoutables diarrhées. Il braque actuellement sur mon front une pétoire du 19ème siècle, et c'est sous sa menace que je vous fournis ci-contre une de mes notulettes. Je ne vois pas de quoi il se plaint.
J'ai donc passé ma semaine à visiter moult châtiaux et nobles demeures, afin de composer un dossier pertinent sur le thème de la petite maison dans la prairie. En moins Charles Ingals. C'était bien chouette, car les châtelains sont des gens patelins. Mon Dieu qu'elle est bonne. Et notre région abonde en bâtiments prestigieux. Certains ne sont plus que ruines et désolation, mais la découverte d'un blason frappé aux armes du seigneur du lieu (en général un reblochon et une étoupe de ramoneur) est une motivation suffisante à l'exploration systématique du moindre tas de pierres. Epuisée par cette semaine passée à écouter tout un tas d'histoires édifiantes, et à les retranscrire fidèlement sur mon petit moleskine, j'ai ouvert hier matin ma boite e-mail, guettant les photos du Duc de Speck, qui avait tenu à m'envoyer ses propres chefs-d'oeuvre. Sans l'ouvrir, j'ai immédiatement redirigé l'e-mail sur celui de la rédactrice en chef. Quelques secondes plus tard, un remerciement succinct me parvint: "c'est quoi ces photos pourries?" (en journalisme, les rédacteurs en chef ont largement fait leurs preuves, et ne perdent pas leur temps à faire de la littérature à tout bout de champs, comme nous autre les gueux. Par contre, et je mesure là toute l'ampleur de la leçon, ils vérifient ce qu'ils envoient). Piquée au vif, j'ai regardé les photos du Duc de Speck.
Une merveilleuse surprise m'attendait.
Je suppose qu'un bison extrêmement velu dort dans son scanner, car la première photo semble couverte de poils d'origine inconnue, épais, très denses, et particulièrement peu ragoûtants. La seconde est si surexposée que tout le bâtiment est rose, un peu comme si le duc de Speck avait organisé une gay-pride à tout casser dans son enceinte. Sur la troisième photo, le château du duc de Speck est enfin passé dans les mains de Pierre et Gilles, je me suis surprise à scruter le portail, des fois qu'Amanda Lear apparaisse (pour ceux qui ne connaîtraient pas Pierre et Gilles, il suffit de cliquer sur le lien. "Pierre et Gilles, le bon goût près de chez vous", telle est la devise de cet étonnant duo). La quatrième est dénuée d'intérêt, elle pèse 9 kg. Pour le coup, j'espère que le duc de Speck s'est borné à photographier une pièce de lego. Je serais navrée qu'il ait chuté dans les douves (et qu'il ait été dévoré par un silure de 5ème catégorie, de ceux qui ont 3 nageoires caudales, dont une carrée, mais très coupante. Et 7 paires d'yeux à la verticale), uniquement pour avoir le recul nécessaire à saisir l'ensemble du domaine.
Et pour produire au final une photo de la dimension d'une pastille Vichy.
Il me reste exactement 18 heures pour rendre mon dossier parfaitement illustré. Je vais donc habilement détourner le sujet, et écrire 4 pages sur l'usage des pastilles Vichy psychédéliques à la dernière gaypride de La Motte en Bauges.
PS: Mon nègre Valaisan brandit actuellement un marteau de taille respectable juste au-dessus de ma tête. Sous cette menace, je me vois dans l'obligation de vous fournir une autre de mes notulettes. Mais celle-ci concerne un reportage effectué avant-hier à Saint Marcellin.
Maintenant que j'y pense, j'ai d'ailleurs oublié un saint-marcellin dans mon sac à main. La menace de mon nègre Valaisan, celle du mélange sulfureux qui provoque d'horribles diarrhées pestilentielles, ne tient donc plus, mon carnet doit en être déjà imprégné. A moins qu'il n'ait explosé dans la penderie.
Ton chantage n'a plus aucun effet sur moi, pesteux.